Blog Antarctique Partie 2

Le technicien du SLF Matthias Jaggi nous raconte son expédition en Antarctique. Deuxième partie : sortir de la quarantaine et se mettre au travail.

Après cinq longues journées, nous allons effectuer ce matin un test Covid PCR. S’il est positif, notre groupe de quatre sera bloqué encore trois jours en quarantaine. En revanche, s’il est négatif, nous allons enfin pouvoir nous lancer dans notre mission tant attendue ici, sur le dôme C. Quelle joie lorsqu’on nous annonce par radio que nous sommes libérés ! En effet, il aurait été difficile de rester encore confinés, les occupations venant à manquer. Dès le début, je n’avais pas pu résister à ouvrir le cadeau de Noël de mes collègues de travail à Davos. Au toucher et à la forme, je pensais bien qu’il s’agissait d’un livre et c’était bien le cas : le roman policier « Bündner Irrlichter » (feux follets des Grisons) a par la suite considérablement agrémenté ma période d'isolement. Par ailleurs, nos provisions de chocolat suisse arrivaient en fin de vie. Oui, il était grand temps de passer à autre chose…

Une fois libre, je dois d’abord faire un point général. La partie des bagages qui devrait déjà être là est rangée quelque part dans les tentes. Mais avec l’aide de Vito, le directeur scientifique, nous retrouvons et réunissons rapidement l’ensemble. Cette fois-ci, je suis logé dans la tente « Spacca Ossa » (casse-os), j’espère que ce n’est pas un mauvais présage ! Celle-ci est divisée en plusieurs secteurs et seul l'un d'entre eux accueille un poêle. Cela me convient très bien, car d’une part je dois stocker mes instruments au chaud et d’autre part, pour sceller ultérieurement mes échantillons de neige, j’ai de toute façon besoin d’une température d’environ – 5 °C : selon la partie de la tente où je me situe et la distance par rapport au poêle, je peux avoir presque n’importe quelle température en tenant compte également de la position du soleil. Mon « laboratoire » étant bien organisé, il me faut maintenant trouver une parcelle d’expérimentation parfaitement intacte…

Vito m’attribue un espace dans la « Forbidden Area », la zone interdite. Celle-ci se trouve du côté sous le vent (la plupart du temps) et n’est pas contaminée par la suie ou d’autres impuretés. De plus, l’emplacement de toutes les activités est enregistré avec précision, afin de toujours disposer d’un manteau neigeux intact. Dès le lendemain, je commence à creuser et, tout à coup, à un mètre de profondeur, apparaissent des fissures. J’ai tout de suite pensé que ces joyeux drilles m’avaient attribué une parcelle perturbée de type emmental – partout des fentes et des petites cavités. Mais la succession des couches de neige autour des fissures semblait naturelle et n’avait pas du tout l’air d’avoir été soufflée ou recouverte à la pelle. Un peu déstabilisé, j’appelle au téléphone pendant la pause de midi mon ex-chef retraité Martin Schneebeli. Je ne maîtrise pas encore le décalage horaire, et il s’étonne de ce coup de fil très matinal, mais s’en réjouit rapidement. Il m’explique le phénomène : lorsque le manteau descend en hiver jusqu’à – 60 °C, la neige perd ses propriétés plastiques et se comporte alors presque comme un matériau ordinaire. Elle se contracte en se refroidissant et, par conséquent, des fissures doivent apparaître quelque part. Tout est donc normal, il me suffit tout simplement d'éviter celles-ci en creusant mes profils.

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Sur ce bloc de neige, on voit bien les différentes couches avant la métamorphose et au début de l’expérience. Le bloc est prêt à être emballé. À la fin de l’expérience, ce bloc sera déballé et nous espérons voir une évolution des couches (microstructure de la neige). (Photo : Matthias Jaggi / SLF)
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Le bloc de neige prêt, emballé dans un film plastique. Bien que le ruban adhésif soit très collant, et adhère encore correctement jusqu’à -20 °C, je dois le conserver au chaud dans ma veste jusqu’au moment de l’utilisation, l’appliquer rapidement et le lisser brièvement avec les mains nues. (Photo : Matthias Jaggi / SLF)
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Le bloc de neige est inséré sur place dans la boîte de métamorphose. Posé sur la plaque chauffante, il est entouré de panneaux isolants. Surmonté enfin d’un couvercle chauffant, il est bien protégé pour le court transport en motoneige jusqu’au dépôt EPICA, où l’expérience sera menée. (Photo : Matthias Jaggi / SLF)

Comme je l’ai déjà mentionné dans le premier blog, nous voulons étudier l’influence du métamorphisme de la neige sur la redistribution des isotopes O18. Le plus rapide est bien sûr de le faire directement sur le profil lui-même. Mesurer au début et à la fin de l’été les deux grandeurs, la microstructure de la neige et la concentration isotopique correspondante, et essayer de comprendre le processus en comparant leur évolution. C’est ce que nous allons faire, mais pour nous faciliter encore un peu la vie, nous allons aussi découper des blocs (40 x 40 x 30 cm) dans le profil, les emballer hermétiquement dans du film plastique et faire « incuber » ces blocs dans des conditions simplifiées, mais identiques sur le plan de la température, dans des boîtes à métamorphose que nous avons construites nous-mêmes. En procédant de la sorte, nous essayons d’éliminer les processus parasites qui pourraient rendre difficile l’interprétation de l’expérience. Nous suivons donc deux chemins parallèles. En extérieur sur un profil réel avec toute la complexité physique et dans des conditions simplifiées dans nos boîtes.

En plus des collègues de la logistique très serviables et très pragmatiques, je peux toujours faire appel à des amis chercheurs pour donner volontairement un coup de main en pelletant – mais la plupart du temps, ils ne reviennent pas une deuxième fois ! Malgré tout, je suis heureux d’avoir chaque jour quelqu’un pour m’aider à sortir les blocs de neige du trou, à les emballer dans les films plastiques et à fermer le paquet. Seul, cela serait presque impossible. Nous devons ensuite déplacer les caisses de métamorphose en traîneau hors de la « forbidden zone », puis nous rendre en motoneige au dépôt souterrain de carottes de glace EPICA, situé à environ deux kilomètres, où l’expérience sera menée.

Nous avons choisi ce dépôt parce qu’il y fait constamment -50 °C. Comme nous ne pouvons que réchauffer éventuellement les boîtes, nous avons besoin d’une température ambiante plus froide que celle que nous voulons atteindre. La métamorphose de la neige étant plus lente avec des températures plus basses en l’Antarctique que dans les Alpes, l’objectif était de mettre en place l’expérience le plus rapidement possible et de la démonter juste avant mon départ. Malgré le délai de quarantaine, je crois que j’ai réussi. Et comme un fromager qui descend en cave pour surveiller ses meules, j’inspecte chaque jour mes caisses de métamorphose et j’adapte les températures en fonction des conditions réelles du profil de neige.

Après une semaine physiquement éprouvante à creuser mon profil de neige, je dois maintenant documenter proprement les données de mesure. Pour l’essentiel, cela signifie transférer les notes et les valeurs des gribouillages du carnet de terrain vers des tableaux afin de pouvoir les traiter et les évaluer ultérieurement de manière automatisée. Comme on n’écrit pas de roman avec des moufles par -50 °C de température ressentie, la « reconstitution » des notes repose aussi un peu sur la mémoire, même si celle-ci est terriblement volatile.

Dès que je reçois le reste de mes bagages, je peux commencer à sceller les échantillons de neige déjà retirés du profil et à les préparer pour le transport. Nous enverrons ces échantillons à Davos afin d’analyser leur microstructure par tomographie aux rayons X.

Vous découvrirez dans le prochain blog comment cela s’est passé et comment Noël s’est déroulé.