Blog Antarctique Partie 1

Le technicien du SLF Matthias Jaggi nous raconte son expédition en Antarctique. Première partie : l'arrivée.

Bonjour à tous ! Je m’appelle Matthias Jaggi, je suis collaborateur technique au sein du groupe Physique de la neige, et c’est la deuxième fois que j’ai la chance de passer l’été austral à la station de recherche franco-italienne Dôme C en Antarctique. Je vais y mettre en place une expérimentation destinée à mieux comprendre l’influence de la métamorphose de la neige sur la redistribution des isotopes stables de l’oxygène. Mais reprenons les choses au début !

La station de recherche est située sur une calotte glaciaire de plus de trois kilomètres d’épaisseur, dont les derniers mètres en surface sont bien sûr de la neige. Avec la profondeur, la pression transforme cette neige d’abord en névé et finalement en glace. Comme les précipitations annuelles sous forme de neige sont très faibles sur le haut plateau oriental de l’Antarctique, cela signifie que les premiers mètres proches du sol sont très anciens. La calotte constitue donc une archive climatique parfaite. On calcule que la glace la plus profonde, que l’on fait remonter en surface par des carottages, aurait environ 1,5 million d’années.

La composition chimique de ces carottes en fonction de la profondeur de forage peut être représentée sur un axe temporel, ce qui nous permet de voir quels composants ou quelles évolutions de concentration ont conduit aux périodes chaudes ou froides globales (pour simplifier grandement !). Intégrées dans des modèles climatiques, ces connaissances permettent également d’estimer les changements futurs. Parmi ces « composants » dans les carottes de glace, il y a justement les isotopes stables de l’oxygène, qui sont présents dans des proportions différentes en fonction de la température moyenne des océans et de l’atmosphère. La neige est composée d’eau, une molécule d’hydrogène et d’oxygène. En conséquence, chaque flocon qui tombe du ciel est une sorte de support d’information sur les conditions moyennes de température de la Terre. La neige poudreuse ne le reste cependant pas. Elle se transforme progressivement. Dans le manteau neigeux, des cristaux disparaissent et d’autres se reforment. Ce processus s’appelle la métamorphose. Il a pour conséquence une redistribution des isotopes de l’oxygène. Et nous aimerions comprendre comment cela se passe exactement, afin de pouvoir mieux interpréter plus tard les signaux isotopiques dans la carotte de glace.

Mais maintenant, quelques mots sur le voyage. Je suis content de ne pas avoir raté le vol de la Nouvelle-Zélande vers l’Antarctique. Il se trouvait que je n’étais pas correctement intégré dans le système informatique de l’IPEV (Institut polaire français Paul-Émile Victor) et je n’ai pas reçu certaines informations. Mes démarches répétées n’ont pas abouti, et je ne savais même pas le jour exact du vol. Un collègue français a fini par dénicher mon numéro de téléphone et m’a demandé où je pouvais bien me cacher. J’ai dû quitter mon logement précipitamment pour ne pas manquer le vol. Celui-ci, à bord d’un Lockheed C-130 Hercules de l’armée italienne vers la station italienne Mario Zucchelli, sur la côte antarctique, a duré près de huit heures.

Au début de l’été, lorsque la glace de la « Terra Nova Bay » dans la mer de Ross a encore une épaisseur d’au moins deux mètres, l’avion peut s’y poser directement. Les stations côtières constituent notamment des plaques tournantes et des lieux de transbordement pour la poursuite du voyage vers l’intérieur de l’Antarctique. Selon les conditions météorologiques et la disponibilité des petits avions comme les DC-3 transformés (Basler BT-67) ou les Twin Otters, on peut passer quelques jours sur une telle station.

Cela présente bien sûr des avantages, car en attendant, on peut parcourir les environs en respectant les consignes. Malheureusement, cette année, il n’était pas permis de s’approcher des colonies de pingouins à cause de la grippe aviaire. Néanmoins, le paysage granitique vallonné, l’eau libre loin à l’extérieur, la ceinture de glace en dégel avec toutes ses nuances de blanc et de bleu et les glaciers qui tombent dans la mer en arrière-plan sont un cadre magnifique à explorer. Pour compléter l’hospitalité italienne, on pouvait profiter d’une vraie machine à porte-filtre pour l’espresso, et même d’un appareil où l’on pouvait se servir un gelato al cioccolato fondente – incroyable !

Le premier transfert vers le Dôme C s'effectuait par un avion-cargo, mais avec six sièges supplémentaires pour des personnes seules. La coordination des vols voulait laisser ensemble le groupe d’EPICA, qui va forer pour trouver la glace la plus ancienne. J’ai donc eu la chance d’embarquer immédiatement. Arrivés au Dôme C, nous avons d’abord dû faire un test PCR pour la Covid. Heureusement tous négatifs. Par précaution, nos horaires de repas restent décalés et nous avons été logés dans une tente chauffée à côté de la station principale. En raison de l’atmosphère moins dense au niveau des pôles, l’altitude du Dôme C correspond à un sommet de 4000 mètres dans les Alpes. Les visiteurs peuvent ainsi avoir le mal des montagnes (cela a été mon cas la première fois) et sa combinaison avec la Covid peut avoir de graves incidences. Les gérants de la station essaient donc d’abord de tenir les nouveaux arrivants à quelque distance. Et voilà que le deuxième jour, mon voisin de lit s’est révélé « légèrement » positif, avec pour conséquence une prolongation de notre période de quarantaine de trois journées. Le pauvre a ensuite été déplacé vers la vraie quarantaine, un conteneur maritime chauffé avec une minuscule fenêtre.

Cette quarantaine est définitivement un peu ennuyeuse, mais elle a le grand avantage de m’empêcher de me surmener physiquement et de réduire ainsi le risque de mal des montagnes. Le test PCR de demain nous dira si nous pouvons commencer les travaux et les expériences. Nous y reviendrons plus tard.