Pilotage de drones au Kirghizstan

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Joel Caduff et Yves Bühler, chercheurs au SLF, forment des scientifiques à la cartographie par drone de la hauteur de neige au Kirghizstan.

Après avoir emballé beaucoup de matériel, dont des équipements de randonnée à ski et un drone eBee-X, nous embarquons le 29 mars dans l’avion pour Istanbul, puis pour Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Là, notre partenaire Sultan Bekelov, de l’Agence hydrométéorologique du Kirghizstan (Kyrgyz Hydromet), nous prend en charge et nous conduit à l’hôtel pour une bonne nuit réparatrice après ces 14 heures de voyage. Le lendemain matin, nous visitons le siège de Kyrgyz Hydromet et l’Institut de géosciences appliquées d’Asie centrale. Après d’intéressantes discussions avec les directeurs de ces organisations, nous présentons au personnel le drone eBee-X, développé à l’origine par une entreprise essaimée de l’EPF de Lausanne. Nous constatons immédiatement leur enthousiasme à piloter ce nouveau jouet, qu’ils sont très impatients d’assembler.

Ce voyage au Kirghizstan suit une tournée d’étude nivologique à Davos en décembre dernier, organisée pour des collègues du Kirghizstan sous les auspices du Centre de compétence pour l’observation de la neige de l’OMM, Davos (SMCC), récemment mis en place. Au cours de cette semaine, des séances d’entraînement au drone et des sessions théoriques ont eu lieu.

Notre mission est financée dans le cadre d’un projet (CROMO-ADAPT) de la Direction du développement et de la coopération (DDC). La méthode établie au SLF pourrait contribuer à acquérir de précieuses mesures le long des transects d’altitude dans la chaîne Tien Shan, les « montagnes célestes ». Celles-ci s’étendent de l’Ouzbékistan à l’ouest jusqu’à la Chine à l’est et font partie des sites du patrimoine naturel mondial de l’UNESCO. Dans cette région éloignée, seules des stations météorologiques isolées et des mesures in situ de la neige existent aujourd’hui. Le drone eBee-X peut aider à obtenir des informations plus détaillées et plus fiables.

Le collègue de CROMO-ADAPT, Sultan Belekov de Kyrgyz Hydromet, décolle le drone ! (Video : Joel Caduff-Fiddes / SLF)

 

 

Col de Too-Ashuu, 3400 m

Après une courte nuit de sommeil, nous quittons Bichkek tôt le lendemain matin pour la station de Kyrgyz Hydromet au col de Too-Ashuu. Ce dernier se trouve sur une route de transport majeure entre la capitale et la ville d’Och au sud. En raison de l’altitude élevée, les avalanches sont un problème important pour la sécurité de cette voie de communication. Depuis l’entrée du tunnel jusqu’à la station, nous devons charrier notre matériel à travers un manteau neigeux très meuble, et nous nous enfonçons plusieurs fois jusqu’aux hanches. Heureusement, les employés de la station nous aident à convoyer tout ce matériel.

Le personnel permanent de Too-Ashuu mesure avec soin les paramètres météorologiques, y compris les profils de neige, depuis l’époque soviétique dans les années 1960. Arrivés à la station, nous ne perdons pas un instant pour chausser nos skis et gravir le point culminant de l’ancienne route du col, qui n’est plus utilisée, à une altitude de 3600 m. Les conditions sont pour le moins arctiques, avec beaucoup de vent, du brouillard et des températures basses. Le retour vers la station ne peut s’effectuer qu’avec d’amples virages dans cette neige mouillée de printemps où l’on s’enfonce jusqu’au sol. Le lendemain, les scientifiques kirghizes maîtrisent le premier vol de drone sous nos instructions. Pas facile de décoller à cette altitude, mais c’est une réussite!

Yves descend en ski dans «big turn powder» (Video: Joel Caduff-Fiddes / SLF)

 

 

Cependant, nous réalisons que la qualité du modèle d’élévation SRTM (Shuttle Radar Topography Mission), libre d’accès, est vraiment insuffisante dans ces régions de haute montagne, et nous sommes rassurés d’avoir un capteur de sol sur le drone, qui peut détecter s’il vole trop bas. Habitués aux modèles d’élévation de grande qualité de swisstopo que nous utilisons en Suisse, ce problème est nouveau pour nous et rend la planification des vols beaucoup plus exigeante. En revanche, il n’y a pas de réglementation pour les drones au Kirghizstan, ce qui est un avantage par rapport à la Suisse aujourd’hui.

Le lendemain, nous rechaussons les skis et montons jusqu’à un sommet voisin, à une altitude de 3960 m (fig. 3 et 4), pour y enfouir un des enregistreurs de température de Joel Caduff, estampillé « SLF » (fig. 5), développé par Martin Hiller qui a récemment pris sa retraite. Après avoir skié sur une neige de printemps parfaite, nous chargeons notre matériel et descendons avec nos véhicules vers le haut plateau de Suusamyr (2300 m) sur le versant sud du col. Nous y effectuons un vol en drone sur un terrain bien plat et recouvert de neige. Ainsi, nous n’avons pas à craindre les mauvaises valeurs d’élévation SRTM. Nous retournons ensuite à Bichkek, en enfouissant quelques autres enregistreurs « Hiller » en cours de route.

Parc national d’Ala Archa

L’excursion suivante a pour objectif le parc national d’Ala Archa, à une heure de route de Bichkek. Cette haute vallée alpine glaciaire, magnifiquement nichée dans les forêts de genévriers (« Archa ») d’Asie centrale est le site de nombreuses études sur les glaciers et constitue la principale alimentation en eau de la ville de Bichkek et des terres agricoles environnantes. Nous sommes accueillis pour les premiers vols dans le parc malgré une visite imminente du vice-président, les Kirghizes sont des gens vraiment décontractés ! Le site initial de prospection, identifié sur Google Earth, s’avère difficile avec à nouveau des données SRTM inexactes qui font avorter le vol après un atterrissage « dur » – comme le caractérise Yves Bühler – provoqué par un fort vent arrière. Les dommages superficiels donnent l’occasion d’entraîner notre équipe à une compétence essentielle pour l’eBee – les réparations au ruban adhésif.

Nous déménageons donc à un endroit plus approprié, sur un site présentant un grand potentiel d’observation, à proximité des pistes de ski locales de Bichkek. La seule contrainte ici est un couple d’aigles occupés à tournoyer dans les airs, mais ils n’ont pas l’air trop gênés par notre eBee. Néanmoins, le pilote est prêt à effectuer la manœuvre d’évitement des oiseaux – une autre compétence clé pour piloter eBee. Avec cet emplacement final, nous avons pu établir trois bons sites d’observation nivologique pour des relevés répétés couvrant une large gamme de climats, d’altitudes et aussi d’applications et nous sommes convaincus que nos collègues kirghizes sont parés à piloter seuls.

Le projet CROMO-ADAPT

CROMO-ADAPT (Cryosphere Observations and Modelling for Adaptation in Central Asia) est la dernière phase de plus d’une décennie de projets d’observation de la cryosphère dans la région, dirigés par Martin Hoelzle de l’Université de Fribourg. Jusqu’à présent, l’accent a été mis sur la surveillance des glaciers. Cette phase étend les observations à la neige saisonnière et au pergélisol en incluant le SLF en tant que partenaire. CROMO-ADAPT intervient principalement au Tadjikistan et au Kirghizstan, car ce sont les châteaux d’eau de la région, mais établit également des collaborations avec d’autres scientifiques et praticiens locaux. Nous travaillons avec des scientifiques, des fonctionnaires et des décideurs par le biais d’échanges d’études, d’écoles d’été et d’expéditions conjointes. Ils bénéficient tous d’une meilleure observation de la cryosphère. Joel Caduff dirige le projet du côté SLF et il est très heureux de collaborer avec Yves Bühler et le groupe de télédétection alpine sur cette importante activité basée sur le drone. La région présente d’énormes besoins concernant à la fois les risques naturels et les ressources en eau, en particulier sous le double défi du changement climatique et des évolutions rapides des infrastructures et de la société.

 

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Départ vers la station (Photo : Yves Bühler/SLF)
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Tour de contrôle : suivi de la trajectoire du drone à l’écran (Photo : Joel Caduff-Fiddes/SLF)
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Yves Bühler assure le cours eBee « Module 10 – Réparations de dommages sur le terrain » ! (Photo : Joel Caduff-Fiddes/SLF)
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Yves Bühler vers les sommets – heureusement sur un manteau neigeux regelé… (Photo : Joel Caduff-Fiddes/SLF)
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Des profils de neige sont réalisés quotidiennement à la station du col de Too-Ashuu, sous la direction d’Iurii Novomlintsev, chef d’observation Hydromet (au premier plan) – en utilisant toujours les méthodes originaires de l’époque soviétique. (Photo : Yves Bühler/SLF)
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Déjà entendu parler de sous-estimation ? Ce pluviomètre à Too-Ashuu souffre de surestimation ! Installé trop bas, il recueille la neige soufflée pendant l’hiver. Un problème typique dans la région où les investissements dans les infrastructures sont trop souvent déconnectés du développement des compétences. (Photo : Yves Bühler/SLF)
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Yves Bühler sur le chemin du retour depuis la crête de Too-Ashuu. (Photo : Joel Caduff-Fiddes/SLF)
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Lors de notre dernière soirée, nous avons eu droit à une présentation par des chercheurs en herbe en sciences de l’environnement (les enfants de nos collègues) ! Ils présentent leur approche pour purifier l’air avec des filtres à eau (Bichkek a un problème de brouillard de pollution) développée dans leur projet de classe de science à l’école. (Photo : Sultan Bekelov, Kyrgyz Hydromet)

Joel Caduff et Yves Bühler sont convaincus que le SLF dispose en interne d’un grand nombre des outils nécessaires pour relever ces défis, notamment grâce à des collaborations réussies entre unités de recherche telles que cette mission au Kirghizstan. Après 9 jours d’échanges très intenses, nous atterrissons, fatigués mais heureux, à Zurich pour prendre le train du retour vers Davos. Joel Caduff continuera à apporter son soutien en élargissant les sites d’observation avec des vols sur terrain déneigé en septembre prochain. Yves Bühler reviendra en Asie centrale (Ouzbékistan) en juin, pour organiser un atelier sur la télédétection alpine auquel les partenaires du Kirghizstan participeront également.